La participation politique

Meeting au stade Charlety, mai 68.

La participation politique désigne l’ensemble des activités d’ordre politique que peuvent avoir les individus au sein d’une société. Idéalement, elle renvoie à l’exercice d’une citoyenneté dynamique et réfléchie, mais  une infime partie se mobilise activement pour la politique. Cette faible participation s’explique par le coût inhérent à la mobilisation, coût en temps, mais aussi coût en termes d’information, car la participation nécessite une compréhension de ses enjeux. Cette participation, qui peut être conventionnelle ou non conventionnelle, c’est-à-dire légale ou située à la marge de la légalité, trouve son explication dans un certain nombre de variables biologiques, sociologiques, économiques ou culturelles. Mais depuis les années 80, on assiste à sa transformation, qui sous l’influence de la montée de l’individualisme et du niveau d’éducation, prend des formes moins institutionnalisées et plus circonstanciées. 

1/ Les coûts liés à la participation et la professionnalisation de la politique expliquent pourquoi seule une minorité d’individus participe activement à la politique. 

A/ Dans Sociologie politique (2008), Philippe Braud définit la participation politique ainsi : 

“ensemble des activités, individuelles ou collectives, susceptibles de donner aux gouvernés une influence sur le fonctionnement du système politique.” 

Dans la démocratie, la participation politique apparaît comme une valeur fondamentale, associée au concept de citoyenneté, notamment à travers l’exercice du vote. Mais la participation politique englobe aussi d’autres types d’actions. Il faut donc distinguer : 

  • la participation politique conventionnelle : elle désigne toutes les activités politiques qui se déroulent dans un cadre légal sans remettre en cause la légitimité du système (le vote, l’engagement politique dans un parti, la participation à une campagne électorale, mais aussi, plus prosaïquement, la participation à une discussion politique ou le suivi de l’actualité politique dans les médias) ; 
  • la participation non conventionnelle : elle renvoie à toutes les formes de participation protestataire qui se situent aux marges, voire en rupture de la légalité et qui mettent en cause la légitimité du système (la manifestation, la grève, voire les actions violentes de casseurs, l’occupation illégale de locaux, la prise d’otage de patron d’usine). 

Cette distinction doit cependant être critiquée : 

  • d’une part, les frontières changent selon les époques et les lieux. A titre d’exemple, la manifestation est rarement tolérée dans les dictatures, elle prend donc des chemins détournés (un enterrement peut être un prétexte à manifester comme on a pu le voir lors du printemps arabe de 2011) ; 
  • d’autre part, les frontières ne sont pas étanches. Dans certains cas, les militants ou les dirigeants politiques peuvent être amenés à commettre des actions illégales (collage sauvage d’affiches, recours à des financements occultes). 

B/ Dans Science politique (2010), Dominique Chagnollaud souligne que seule une minorité participe activement à la vie politique. Il donne quelques éléments chiffrés sur la participation dans les pays démocratiques permettent de s’en rendre compte : 

  • 1 % des citoyens détiennent une fonction politique ; 
  • 2 à 4 % participent à des campagnes électorales ; 
  • 10 % versent des fonds à des organisations ou assistent à des meetings ; 
  • 10 % des citoyens seulement manifestent et 2 % ont recours à des moyens radicaux de protestation (grève sauvage, occupation de locaux) ; 
  • 2 à 30 % adhèrent à un parti (en France, moins de 1 %) ; 
  • 20 à 40 % discutent de politique dans leur vie privée ; 
  • 50 % suivent des informations politiques dans les médias. 

Dans Les institutions politiques grecques à l’époque classique (1967), l’historienne Claude Mossé met en avant le fait que même dans la démocratie athénienne (Ve et IVe siècle avant JC) où 6 000 citoyens athéniens ont le droit de vote, seule une partie d’entre eux assiste effectivement aux séances de l’Ecclésia, assemblée chargée de prendre les décisions, alors que la plupart des autres citoyens vaquent, pendant ce temps, à leurs occupations journalières. 
Dans « Engagement politique » (1985), Dominique Memmi souligne que l’activité politique est en réalité pratiquée par une minorité d’individus : les militants et les professionnels de la politique. Ces derniers cumulent plusieurs postes à la fois et composent une sphère restreinte d’initiés qui vivent par et pour la politique. 
En ce qui concerne la situation de la France, l’enquête de janvier 2011 réalisée par le Cevipof confirme ces tendances : 56 % des Français considèrent que la participation électorale est le moyen le plus efficace pour influencer les décisions politiques, mais ils sont 8 % à penser que c’est la manifestation, 6 % que c’est la grève et 1 % que c’est militer dans un parti politique. En outre, cette enquête montre que 58 % portent assez ou beaucoup d’intérêt à la politique et que 41 % considèrent qu’elle importe peu ou pas du tout. Tous ces chiffres soulignent qu’une part importante de la population française, à l’image d’autres démocraties, ont plutôt tendance à rester passifs ou apathiques vis-à-vis de la politique. 

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C/ L’analyse de Mancur Olson dans Logique de l’action collective (1975) permet de comprendre pourquoi le phénomène de la participation ne concerne qu’une minorité de citoyen. Lors du choix de la participation ou non à une action collective, il apparaît que la stratégie la plus rationnelle consiste à laisser les autres se mobiliser pour pouvoir ensuite bénéficier des éventuels gains liés à la mobilisation sans en payer le coût. Cela revient à se comporter en “passager clandestin” (free rider). Selon Olson, pour pouvoir mobiliser un groupe, il faut avoir la possibilité d’offrir des “incitations sélectives”, c’est-à-dire des rétributions réservées aux participants. C’est, par exemple, le système du closed shop (monopole des syndicats à l’embauche) qui était le fait des pays anglo-saxons (encore pratiqué aux Etats-Unis, il a été interdit par Thatcher au Royaume-Uni), ou encore le clientélisme pratiqué dans la Rome antique (et aussi parfois dans nos démocraties) qui conduit un individu – le client – à échanger son soutien politique contre la protection apportée par une personnalité riche – le patron. 
Le modèle d’analyse d’Olson présente néanmoins certaines limites : 

  • il ne prend pas en compte les rétributions morales ou identitaires ; 
  • il sous-estime la capacité du passager clandestin à anticiper la non participation des autres membres du groupe et à s’engager pour compenser les éventuelles défections. 

Il permet toutefois de mettre en évidence les coûts inhérents à la participation politique. De manière générale, un individu engagé dans une activité politique coûteuse en temps et en énergie pratique des activités moins coûteuses. Seul le professionnel de la politique peut se permettre d’user de toute la gamme de participation. Le citoyen ordinaire, même intéressé par la politique, ne peut pas facilement se mobiliser politiquement (campagnes, meetings, etc.). 

2/ Malgré un contexte général d’apathie, l’intégration à un groupe et le sentiment de compétence politique conduisent certains individus à s’engager dans la vie politique davantage que d’autres. 

A/ L’engagement politique est un comportement généralement valorisé car il permet au citoyen d’exprimer son sens des responsabilités. Il suppose des convictions, mais aussi des gratifications, qu’elles soient matérielles ou symboliques. Il constitue un élément nécessaire au fonctionnement du système démocratique car il offre non seulement un vivier de candidats aux élections, mais confère aussi à la vie politique son caractère vivant en assurant la présence de contre-pouvoirs. 
Plusieurs variables permettent d’expliquer l’engagement politique : 
a) Les variables biologiques

  • l’âge : si l’engagement politique est plutôt faible chez les jeunes, il est croissant jusqu’à l’âge de 50 ans. Il s’accentue nettement après 35 ans, ce qui traduit une insertion dans le monde adulte et des rôles sociaux construits, puis diminue au-delà de 65 ans ; 
  • le sexe : les hommes participent davantage que les femmes, même si le rapprochement de leurs statuts sociaux conduit à une atténuation de cette différence. Cette dernière traduit une position dans l’espace social et une relation au travail : plus les femmes sont intégrées dans le monde du travail et plus leur comportement s’aligne sur celui des hommes. Mais il existe aussi une dimension culturelle à cette inégalité : le modèle de la division sexuelle des tâches continue de perdurer, ce qui tend à confier aux femmes plutôt la gestion de l’espace privé et aux hommes celle de l’espace public. A niveau de diplôme et d’activité égal, les hommes s’engagent davantage dans la vie politique. Dans Participation and political equality (1978), Sydney Verba, Norman Nie et Jac Kim ont montré que cet écart entre hommes et femmes s’est réduit à travers l’égalisation du niveau d’instruction, sauf dans le cas du vote : les femmes s’investissent moins dans les instances représentatives de la politique et sont moins tentées par la participation à des activités contestataires. 

b) Les variables socio-économiques : plus le niveau social (diplômes, revenus, profession) est élevé et plus la participation politique est importante, l’instruction étant la variable la plus déterminante ; il faut cependant nuancer en soulignant que cette situation se vérifie surtout aux extrêmes de l’espace social et peut varier selon la géographie (les agriculteurs peu diplômés sont plus actifs dans la vie locale que les cadres moyens ou supérieurs car dans les petites entités, les liens sont plus étroits et favorisent l’intégration). 
Dans Le Cens caché (1978), Daniel Gaxie affirme que l’activité citoyenne est liée au degré de compétence politique, ou du moins, à l’idée que le citoyen s’en fait. Ainsi la connaissance des acteurs et des enjeux favorise la participation. Une insertion professionnelle et un niveau culturel élevés sont deux facteurs qui prédisposent à l’acquisition d’un tel savoir. 
c) Les variables culturelles : de manière générale, l’intégration à une communauté favorise la participation. Dans Social Conflict and Social Movements (1973), Anthony Oberschall souligne que l’existence de relations structurées et régulières au sein d’un groupe favorise l’engagement. C’est le cas, notamment, de l’appartenance à une communauté ethnique, religieuse ou à une catégorie sociale. 
d) Les variables identitaires : comme le montre Doug McAdam dans Political Process and the Development of Black Insurgency, 1930-1970 (1982), l’existence d’un entourage familial favorable à l’engagement ainsi que l’importance du militantisme dans la construction d’une identité personnelle ont joué un rôle déterminant dans la participation d’étudiants blancs au Freedom Summer de juin 1964, mouvement militant pour l’inscription des Noirs sur les listes électorales dans le Mississippi. 
En outre, Verba, Nie, Kim (1978) remarquent que l’identification à un parti favorise la participation politique et peut compenser le handicap d’un statut social bas, lorsque ces partis sont en liaison avec des catégories sociales déterminées. En France, l’identification au Parti communiste a longtemps permis aux ouvriers qui s’en déclaraient proches d’être plus actifs politiquement que ceux qui ne s’identifiaient à aucun parti.

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B/ Depuis les années 80, les modèles d’engagement politique changent en Europe. L’affirmation de l’individualisme et la hausse du niveau de connaissances conduisent à un investissement sélectif, souvent à l’écart des organisations traditionnelles (partis politiques, syndicats). Dans “L’évolution des formes de l’engagement public” (1994), Jacques Ion souligne que l’engagement se veut souvent débarrassé des pesanteurs collectives et s’inscrit dans des “rassemblements de durée et d’objectifs limités, contractuels en droit comme en fait, correspondant généralement à des intérêts monofonctionnels”
Dans Associations : un nouvel âge de la participation ? (2000), Martine Barthélémy montre que le militantisme associatif connaît une déperdition de ses effectifs, notamment lorsque ces associations en question sont des organisations stables. Les mobilisations ponctuelles sur des objectifs précis, sur le modèle des mobilisations NIMBY (Not in my Backyard : pas de ça chez moi), rencontrent en revanche un succès croissant. 
Dans “Syndicats et politique” (2007), Guy Groux souligne que la France est le pays qui, en Europe, a le taux de syndication le plus bas. Toutefois, il met en évidence que ce pays conserve un attachement particulier aux formes de participation politique occasionnelles, non conventionnelles et protestataires. 
Dans “Les Français, des Européens comme les autres” (2010), Raul Magni-Berton montre que la France est un pays où la participation est faible, mais où l’on descend facilement dans la rue. Si la France se trouve dans la moyenne en ce qui concerne la participation électorale, elle se place systématiquement dans la tête des pays européens en matière de participation non conventionnelle (manifestations, boycott, pétitions, campagnes ou protestations illégales) et dans les derniers pays en ce qui concerne le militantisme syndical ou politique. Comme le souline Raul Magni-Berton, “c’est cette asymétrie qui fait de la France un cas spécifique” et qui permet de parler d’un “phénomène typiquement français”. Selon lui, cette participation protestataire accrue n’est pas due à une méfiance des Français à l’égard des institutions (elle présente des niveaux assez proches dans les autres démocraties européennes), mais est liée : 

  • à la présence massive de fonctionnaires au sein de la population, qui est une catégorie socioprofessionnelle plus facilement mobilisable (qui bénéficie de la sécurité de l’emploi et davantage de temps libre) ; 
  • à un effet de génération mai 68, puisque les formes de participation non conventionnelle attirent de nombreux supporters au sein de cette catégorie d’âge (entre 50 et 64 ans).