Les principes généraux du droit public

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Les principes généraux du droit (PGD) sont des règles de droit non écrites qui s’imposent au pouvoir réglementaire et à l’autorité administrative. Ils ont une valeur législative tant qu’ils ne sont pas contredits par une loi positive. Les PGD les plus connus sont les principes d’égalité et de liberté. Le juge a ainsi la possibilité de motiver ses décisions à partir d’un ensemble varié de normes qui permettent de garantir et de protéger les droits fondamentaux des citoyens.

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1/ Les PGD sont apparus au fil du temps, tout comme la définition de leur contenu et de leur valeur. 

A) La première occurrence dans la jurisprudence de la notion de “principes généraux du droit” se trouve  dans l’arrêt Aramu en 1945. Il faut noter cependant que l’arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier avait, un an auparavant, garantit le principe général (le terme PGD n’était pas encore utilisé) du respect des droits de la défense (CE, 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier).
Trois critères généraux des PGD permettent de les définir :

  • ils s’appliquent “même en l’absence de texte”(CE, 1945, Aramu) ;
  • ils sont dégagés par le juge à partir de “l’esprit de notre droit” (selon l’expression de Carbonnier), parfois en s’appuyant sur des textes fondamentaux de droit français ou bien de conventions internationales ;
  • ils correspondent à “un certain état de civilisation” (selon l’expression de Braibant et Stirn) : ils ne sont pas inventés par le juge, mais découverts, à un moment donné, à partir de l’état de la conscience collective. Cette découverte à un moment donné explique la dimension évolutive de ces principes.

B) Leur contenu peut être soit d’ordre philosophique (liberté, égalité, continuité du service public, etc.), soit d’ordre juridique (droits de la défense, existence du recours contre excès de pouvoir, etc.). Quant à leur valeur, le CE leur a attribué une valeur supérieure à celle de tous les actes administratifs. Ils s’imposent également au pouvoir réglementaire tel qu’il est défini par la Constitution. Leur portée peut donc s’étendre jusqu’aux ordonnances prises par le président de la République (CE, 1962, Canal et autres : l’ordonnance du président de la République créant une juridiction d’exception pour juger les crimes et délits commis en Algérie porte gravement atteinte au PGD selon lequel toute décision rendue en dernier ressort peut faire au minimum l’objet d’un recours en cassation).
Selon l’expression de Chapus, ils une valeur “supradécrétale et infralégislative”:

  • supradécrétale : les PGD s’appliquent à l’ensemble du pouvoir réglementaire (CE, 1959, Société des Ingénieurs Conseils) ;
  • infralégislative : une loi peut déroger à un PGD dès lors que la volonté du législateur est formelle (CE, 1965, Union fédérale des magistrats et Sieur Reliquet).

C) Le Conseil constitutionnel (CC) a également été amené à utiliser les PGD et il a donc précisé leur valeur. L’une des compétences de cette juridiction consiste à déterminer la place des normes dans la hiérarchie du droit. Par conséquent, le CC a dû se prononcer sur la valeur supra-législative ou non de ces principes. Selon les cas, certains principes sont inférieurs à la loi et d’autres ont une valeur constitutionnelle. Les principes généraux à valeur constitutionnelle sont ceux du tirés du bloc de constitutionnalité (Préambule de 1948, Préambule de la Constitution de 1958, DDHC et Charte de l’environnement). Le CC a également dégagé des PGD en les déduisant des textes auxquels le Préambule de la Constitution de 1958 renvoie, par exemple : le droit de mener une vie familiale normale, les droits de la défense, la continuité du service public et le droit au recours pour excès de pouvoir contre toute décision administrative.

2/ Si les PGD ont pu garantir les droits fondamentaux des Français, le CE y recoure de moins en moins lorsque ceux-ci sont déjà inclus dans le bloc de constitutionnel (normes reconnues par le CC comme ayant une valeur constitutionnelle).

A) Quelques principes généraux du droit à connaître :

  • CE, 1933, Benjamin : du principe de liberté découle notamment la règle selon laquelle une mesure de police ne doit pas imposer des contraintes excédant celles qui sont nécessaires au maintien de l’ordre public.
  • CE, 1945, Aramu : première occurrence de l’expression “principes généraux du droit”.
  • CE, 1948, Société du Journal l’Aurore : principe de non-rétroactivité des actes administratifs.
  • CE, 1951, Société des concerts du conservatoire : principe d’égalité devant le service public.
  • CE, 1973, Dame Peynet : principe de l’interdiction pour tout employeur public de licencier une femme enceinte.
  • CE, 1978, GISTI et autres : en s’appuyant sur le Préambule de la Constitution de 1946, le CE affirme que tout homme a “le droit de mener une vie familiale normale”. Ce principe gouverne le droit à l’entrée et au séjour des étrangers. La valeur constitutionnelle de ce principe général est reconnue par le CC dans sa décision du 13 août 1993.
  • CE, 1982, Ville de Toulouse : obligation pour tout employeur public d’attribuer aux agents non titulaires une rémunération au moins égale au SMIC.
  • CE, 1997, Commune de Gennevilliers : au nom du principe d’égalité, il est aussi possible d’autoriser des mesures visant à renforcer l’égalité des chances, ce qui montre le caractère évolutif des principes généraux. Par conséquent, un conseil municipal peut établir des droits d’inscription à un conservatoire de musique qui varient en fonction du revenu des familles. Ce principe se voit également appliqué par le CC, ce qui permet à l’IEP de Paris de passer des conventions avec des établissements de ZEP afin de favoriser “l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction” (CC, 2001, Loi portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel).
  • CE, 2006, KPMG et autres : le CE reconnaît l’existence du principe de sécurité juridique. Notons que le CC ne considère pas pour l’instant ce principe de sécurité juridique comme un principe constitutionnel (décision du 7 novembre 1997).
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N.B. : en cas de contradiction dans l’application des principes constitutionnels, par exemple entre le droit de grève et la continuité du service public, l’arbitrage délicat revient au juge. En l’absence de loi, le juge compétent est le juge administratif, et lorsque la loi intervient, le juge constitutionnel.

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B) Depuis la seconde moitié des années 80, le CE renonce à créer de nouveaux PGD qui viendraient redoubler les principes ayant valeur constitutionnelle. L’évolution de la valeur juridique du principe du droit au recours en constitue l’exemple le plus frappant. Dans les années 50, le CE a d’abord reconnu le droit au recours comme un PGD sous trois formes :

 

  • CE, 1947, D’Aillières : tout administré a le droit de contester une décision juridictionnelle au moins par voie du recours en cassation ;
  • CE, 1950, Dame Lamotte : droit au recours pour excès de pouvoir ;
  • CE, 1950, Queralt : tout administré a le droit de demander à l’autorité ayant pris une décision ou à son supérieur hiérarchique de reconsidérer celle-ci.

Par la suite, la valeur constitutionnelle du droit au recours est affirmée par le CC, notamment dans CC, 1996, Statut de la Polynésie française, qui se fonde sur l’art. 16 DDHC.
Comme le droit public est de plus en plus irrigué par les principes ayant acquis une valeur constitutionnelle, les PGD ont un champ d’application qui devient relativement cantonné. Les PGD s’adressent en effet principalement au pouvoir réglementaire et, en vertu de la hiérarchie des normes, il serait absurde de les rappeler lorsque ceux-ci se voient reconnaître une valeur supérieure de niveau constitutionnel. Le CE a d’ailleurs pris acte de ce changement en dégageant lui-même un nouveau principe constitutionnel tel que celui du refus de l’extradition réclamée pour motif politique (CE, 1996, Koné).